Je m’escrime pour toi

Je voudrais te faire une confidence : cela fait plus de douze ans que les épées me fascinent. J’étais encore à l’école primaire quand j’ai eu l’occasion de tenir un fleuret pour la première fois, un véritable coup de foudre ! A sept ou huit ans, ma décision était prise : Mini-Constellation commençait l’escrime. Ma grande taille et ma souplesse ont été un grand avantage pour ce sport si bien que quelques années plus tard, j’arrivais deuxième de la ligue, un concours régional. Mais alors que je faisais la course aux blasons : le jaune, puis le rouge et bientôt le bleu ; j’ai été forcée d’arrêter ce sport qui me plaisait tant. Six heures d’entraînement par semaine à vingt minutes de voitures de chez moi, une déchirure musculaire à la cuisse qui refusait de guérir et une scolarité à poursuivre : tout cela devenait bien compliqué. Au revoir l’escrime !

Sauf que… Arrêter l’escrime n’a pas été aussi anodin pour moi que d’arrêter la danse ou la gymnastique, même la fin des cours de guitare ne m’a pas fait le même effet : j’y pensais tout le temps. Dès que possible, je me battais contre qui le voulait bien avec tout ce qui me passait sous la main. Un bout de bois, un balais, une béquille ou une canne font de parfaites épées de pacotille. Ce que j’attendais toujours avec impatience, c’était la fête médiévale. Je participe tous les deux ans à une fête médiévale en Bretagne, dans un joli petit village très cher à mon coeur. A cette occasion, je parviens toujours à emprunter une épée à un chevalier, qu’elle soit en bois ou en fer peut m’importe, je me bats et je me sens pousser des ailes.

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Mais une journée tous les deux ans, c’est bien peu, non ? Impossible pour moi et ma santé défaillante de reprendre l’escrime sportive et pourtant, je continue de lorgner sur les épées, les sabres, les fleurets et les rapières quand je me balade sur la toile.

Un beau jour de novembre 2015, je me rends avec mon père et mon petit frère au marché de l’histoire qui a lieu deux fois par an dans mon département. Comme à mon habitude, je regarde toutes les épées avec les grands yeux pétillants d’un enfant devant un sapin de Noël. Soudain, mon regard croise le plus bel objet du monde : une magnifique rapière rouge et noire. Je ne résiste pas à la tentation, je m’approche et la prend en main : quelle légèreté ! Elle est particulièrement maniable, même pour moi et mes articulations fragiles. Mon père me voyant, me pousse à l’acheter. Son prix est plus que raisonnable car elle est composée en grande partie de pièces recyclées. Plus tard, mon père qui est archer et connait donc cette passion qui m’anime, m’avoue qu’il aurait été fort dépité si je ne l’avais pas prise : la rapière est juste parfaite pour moi. Voilà le genre d’objet que l’on conserve une vie durant.

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Mais il y a autre chose que je ne t’ai pas dite !  Certes, impossible pour moi de reprendre l’escrime sportive… Cependant, mon université m’a permis de vivre un petit miracle : un professeur y dispense gratuitement des cours d’escrime artistique. Késako ? L’escrime artistique contient plus de mouvement que l’escrime sportive, il s’agit non pas de combattre un adversaire mais de créer une chorégraphie à deux ou à plus, c’est ce que l’on voit dans tous les films de cape et d’épée ! Si c’est une chorégraphie, je peux le faire : je connais mon corps et mes limites et je pourrai donc faire en sorte de ne pas les franchir. En septembre 2015, je prends mon courage à deux mains et me rends à la salle à l’horaire indiqué. Et là, c’est une grande déception : alors que la salle est à moitié vide, le professeur m’en refuse l’accès prétextant que son cours est complet. Je ne peux m’empêcher de penser que mon fauteuil roulant est l’objet de ce refus. Je fais part de ma pensée à la mission handicap mais aussi à mes amis qui en parlent au président d’un syndicat étudiant… De fil en aiguille l’histoire se répand et, alors que j’avais balayé mes espoirs d’un revers de main, on vient m’annoncer que je peux rejoindre le cours ! Les débuts sont très froids avec le professeur mais un étudiant, passionné lui aussi, me prend sous son aile et m’aide à rattraper mon retard. Il apprend très vite à faire attention à ma santé, s’adapte à mon niveau et à mes impossibilités et fait toujours très attention à ne pas me faire mal en cas de contact physique. Si j’osais, je dirais qu’il s’agit d’un ange tombé du ciel.

Pendant toute une année scolaire, j’ai donc pu à nouveau vivre ma passion. A partir de novembre, j’ai même eu la possibilité de bretter avec ma propre rapière – et ça, c’est magique-. Il y a eu des hauts et des bas, des moments où il m’était tout simplement impossible d’assister au cours et d’autres où je devais fonctionner au ralenti. C’était difficile mais ça m’a fait tellement de bien… C’était la première fois en huit ans que je reprenais un sport ! Je sais que certaines personnes ayant le syndrome d’Ehlers-Danlos pratiquent des sports à haut niveau et d’autres ne peuvent pas du tout en faire. Je m’estime particulièrement heureuse d’en avoir trouvé un où je peux m’épanouir pleinement grâce à quelques adaptations et j’espère que toi aussi, si tu es malade, tu as accès à ces quelques moments de bonheur « musclés » : un peu de marche, de vélo, de piscine ou bien d’autres sports un peu moins conventionnels. Même si ces moments sont rares, ils sont précieux. Si tu ne peux -pour le moment- rien faire du tout, je te souhaite que ce soit passager ou qu’il y ait des moments de répits. Saisir l’instant, c’est peut-être ça le plus important ?

En parlant de saisir l’instant, je t’offre mon bonheur en vidéo, avec l’accord des personnes qui y apparaissent !

 

L’année prochaine j’entre en master, très probablement dans une autre université, et ça… ça va rudement me manquer.